L'animal troue la nuit carcérale

Arnaud Théval "L'animal troue la nuit carcérale" (2024) installation photo, dessin et pièces sonores réalisées avec Pauline Boyer
Arnaud Théval "L'animal troue la nuit carcérale" (2024) installation photo, dessin et pièces sonores réalisées avec Pauline Boyer

L’animal troue la nuit carcérale
Tirage photo format 118 x 166 cm, dessin 92 x 130 cm (reproduction d'un original format 15 x 21 cm) et trois pièces sonores réalisées avec Pauline Boyer.
Présentation dans le cadre de "Le temps d’un rêve"
Musée des Confluences, Lyon.
2024

Une pièce issue du projet « Histoire animale de la prison » mené entre en 2021 et 2024. L’enquête artistique consiste à faire émerger les présences animales dans les récits des personnels pénitentiaires et des personnes détenues. L'oeuvre nous permet d'entrer en contact, d'une manière fictionnelle et poétique, avec ce monde où rêver prend une dimension forcément singulière. Arnaud Théval interroge, à travers la présence animale dans l'onirisme, l'emprisonnement, la domestication, l'évasion et, de manière générale, l'imaginaire carcéral. La représentation animale est en effet omniprésente dans la prison, réelle ou affichée sur les vêtements, dessinée sur les murs et sur les peaux, comme dans les rêves de celles et ceux qui l’habitent. »

Son corps comme un nid d'hirondelle (extrait)
Un sweet-shirt au motif d'ours sèche à la fenêtre, Elle regarde agrippés sur des barbelés, des oisillons qui piaillent à tue-tête. Pas simple de naître en prison, parfois elle découvre des oiseaux avec une seule aile ou un seul œil. Quand les rats ne les dévorent pas, ça lui fait de drôles de compagnons. Des oiseaux, elle en a dessiné avec sa tatoueuse bricolée sur tout son corps. Le drap qu'elle remonte sur son épaule produit un frottement rêche au contact de sa peau. Pour limiter l'étendue de sa douleur, elle plie les genoux contre elle. Elle s'endort, défaite par la souffrance. Elle a prié ses divinités et sur sa peau les motifs de ses croyances tintent entre eux. Le son doux d’un battement d'ailes envahit l'espace de son réduit (...).

Arnaud Théval "L’animal troue la nuit carcérale" Tirage photo format 118 x 166 cm, dessin 92 x 130 cm (reproduction d'un original format 15 x 21 cm) et trois pièces sonores réalisées avec Pauline Boyer.
Arnaud Théval "L’animal troue la nuit carcérale"Tirage photo format 118 x 166 cm, dessin 92 x 130 cm (reproduction d'un original format 15 x 21 cm) et trois pièces sonores réalisées avec Pauline Boyer.


Moutons hallucinés (extrait)
Le drap déchiré est solidement noué à une fourchette tordue. Il balance son grappin depuis sa fenêtre vers le tas de déchets qui s’amoncelle en contrebas de sa cellule. Son visage s'aplatit contre les barreaux tant il doit se contorsionner pour agripper le petit paquet qu’un ami vient de lui projeter depuis l'extérieur de la prison. La fourchette agrippe enfin un bout du sac plastique qui emmaillote l'objet qu’il attend. Lentement il remonte sa prise le long de la paroi puis du bout des doigts il le glisse par l'ouverture faite dans le caillebotis métallique qui se superpose à ses barreaux. Tremblant d'excitation, il dénoue les liens du paquet et en extrait des cachets blanc, qu’il s‘empresse d’avaler. Lentement, il sent son corps se détacher de sa lourdeur et la nuit s'habiller de couleurs magiques.

Une fourmi à l’oreille (extrait)
Dans une cellule isolée, un homme dit le message de Dieu. Il prie. Les sourates du Coran nourrissent son paysage intérieur et son temps présent se transporte dans des temps anciens. Aujourd'hui n'existe plus vraiment. La nuit il rêve de ce qu'il lit comme il lit ce qu'il rêve. Dans son premier rêve, il est avalé par une baleine. Terrorisé il a ouvert son cœur à l'Imam de la prison. Il dit le message de Dieu. Il prie. Dans le vert de sa cellule, un serpent pénètre entre les barreaux de la fenêtre, il se glisse entre les pieds de la chaise et lentement il se hisse dans son lit. D’un geste brusque il chasse cette image du traitre en serrant les dents à s'en casser la mâchoire. Il dit le message de Dieu. Il prie. Chaque jour il lit un livre qui interprète les rêves et ainsi il interprète les faits de sa journée.

Arnaud Théval "L’animal troue la nuit carcérale"
Arnaud Théval "L’animal troue la nuit carcérale"Tirage photo format 118 x 166 cm, dessin 92 x 130 cm (reproduction d'un original format 15 x 21 cm) et trois pièces sonores réalisées avec Pauline Boyer.