Photos de classe
2005
Une série dé-construction du modèle traditionnel de la photo de classe. J'y interprète la figure du photographe en soustrayant un à un les fondements du protocole conduisant à la photo standardisée. Cette attitude fait émerger les normes qui régissent les attendus et les pièces proposées redistribuent les pouvoirs de décisions et d'apparitions de la figure du groupe d'élèves au cœur de son institution.
Par affinités
Les rapprochements entre les élèves sont sensuels et le cadre du bureau du proviseur adjoint décale la situation au point que beaucoup de spectateurs de l'image croiront à un photomontage. Afficher des interdits dans un cadre officiel est un jeu périlleux pour une pièce dont l'affichage sera très éphémère. La photo de classe intègre ici ce rapport de défiance à l'autorité tandis qu'habituellement seuls les acteurs ont le pouvoir de faire remonter ces souvenirs indicibles.
Un léger flottement
Le photographe ne dirige rien, aucune instruction ni autre directive ne sont proposées. Le groupe attend, se retourne sur lui-même et aucun leader ne vient perturber ce flottement. Ils sont à leurs échanges loin de se préoccuper du photographe dont l'autorité à disparu. Sans volonté de quiconque de figurer au premier plan, le groupe fait corps, tournant le dos à cette mémoire des visages attendue.
La salle du conseil
Le groupe se déplace comme un corps unique, une déambulation grotesque qui occupe les espaces de circulations du lycée. Jusqu'à l'accident de la rencontre avec le professeur principal qui entre dans la salle du conseil de classe, le leur justement. Indissociable, la classe prend place au cœur du cercle des discussions concernant leur orientation individuelle. Une disjonction offre cette image improbable où les élèves remplissent physiquement l'espace habituellement vide où se joue leur futur. La peur est présente mais le groupe offre une carapace qui permet ce glissement insolent.
À retardement
L'institution scolaire a délégué la fabrication de sa mémoire au privé, elle ne conserve pas les photos de classe. Ma dérive avec ce groupe pour choisir le décor de la photo nous entraîne des caves aux combles. Sous les toits derrière l'horloge du lycée, le groupe fait face à une chambre photographique au temps de pose très long. Chacun choisit de rester immobile ou de bouger pour figurer nettement ou pas sur l'image. La pièce sera installée à la place du portrait de Gabriel Guist'hau, une façon de souligner avec ce un déplacement ironique l'importance de garder la trace de ceux qui passent comme d'une mémoire commune.
Le tableau des négociations
Cette pièce met en jeu les envies des élèves à se positionner dans l'image selon leurs affinités. Un choix risqué qui induit des positionnements et des négociations à l'intérieur du groupe.
Sylvain Maresca, écrivain et sociologue
Une classe est un rassemblement arbitraire d'individus qui, même s'ils sont appelés à faire corps sur la photo annuelle, ne constituent pas forcément un groupe, encore moins un ensemble choisi. Lorsqu'il s'agit d'en composer le cliché, l'agencement des différents élèves est largement imposé par le photographe qui se soucie surtout d'équilibre visuel et de symétrie. Les amitiés réelles ne résistent pas forcément à cette mise en ordre impérative ; à l'inverse, certains rapprochements physiques sur l'image ne signifient aucune affinité réelle.
Ici, le cheminement adopté fut inverse : chacun était invité à désigner son ou ses partenaires et à leur adresser un geste signifiant leur lien. En quatre heures d'échanges intenses se dessina ainsi une carte du tendre de cette classe - carte hétérogène, composite, qui révéla plusieurs sous-groupes, distingua des individualités excentrées et quelques figures communes à plusieurs unités ; bref la complexité réelle des interactions et des liens tissés au sein d'un lot d'individus rassemblés initialement selon une logique purement administrative. Ce schéma mental est proprement irreprésentable. Le dessin en propose tout juste une esquisse. Quant à la photographie de classe, avec sa géométrie linéaire, elle est incapable de restituer en une seule image ces fractures partielles, ces chevauchements, ces arrière-plans et ces secrets. Le cliché présenté ici atteste seulement de la réalité du travail entrepris et de l'impuissance de la photographie à raconter de telles histoires.
Photos de classe
(2005), exposition au FRAC Pays de la Loire.
Judith Quentel, commissaire d'exposition : Arnaud Théval a saisi l'opportunité de réfléchir à l'archétypale photo de classe à partir de la mise en place de cinq protocoles définis. Le groupe, sa représentation et sa posture au sein de l'établissement, la symbolique ou la charge de certains espaces (bureaux, salles des professeurs, hall d'accueil ou combles ...) viennent nourrir des images ambiguës, entre clandestinité et mémoire officielle. A ces cinq volets «in situ» viendra répondre une sixième proposition présentée au Frac des Pays de la Loire à Carquefou. L'ensemble est constitué d'accrochages de photographies en format affiche dans chaque lycée, dans des lieux porteurs d'une forte signification. Au Frac, un accrochage intégrant l'idée d'une sorte de reconstitution «à distance» et «hors contexte» de ce que l'on pourrait nommer l'architecture mentale des lycées, viendra faire écho à l'architecture fortement identifiée du lieu et nourrir encore cette réflexion «multipistes».
Photos de classe (2005) catalogue de l'exposition, par Sylvain Maresca, sociologue.
En s’inscrivant dans ces lieux inhabituels, la photo de classe a quitté l’univers des élèves pour infiltrer celui des enseignants, de l’administration ou des personnels techniques. Profitant de la liberté que leur accordait le projet artistique d’Arnaud Théval, les élèves se sont donc permis des transgressions manifestes des frontières et de l’ordre scolaires, donnant ainsi naissance à des situations et des images incongrues. N’ont-ils pas révélé du même coup combien l’ordre scolaire était sans cesse menacé de subversion et combien eux-mêmes – élèves de Terminale, ne l’oublions pas – étaient passés maîtres dans l’art de jouer avec ses limites ?