Histoire animale de la prison

© Arnaud Théval "Histoire animale de la prison" Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.
© Arnaud Théval "Histoire animale de la prison" Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.

Histoire animale de la prison
Photos, dessins et textes de l’artiste
et textes d’Alain Kerlan (philosophe) et de Djoheur Zerouki (maîtresse de conférences et chercheuse en droit pénal)
272 pages
Format 16,5 x 22,5 cm
Dos rond et coffret 
Graphisme : Atelier Garnier Araguas
Éditions Dilecta, Paris
2025

Arnaud Théval "Histoire animale de la prison" Courtesy Dilecta.

 

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« À l'encontre de cette exclusion supposée de principe, le constat doit bien être fait : l'animal est partout présent dans la prison. Dans l'univers des détenus mais aussi dans celui de leurs gardiens, et même dans l'univers qu'ils ont en partage. Il est là dans les têtes, dans les imaginaires de tous et toutes, dans les mémoires et les vies qui se disent ou bien se taisent. » – Arnaud Théval. Le travail de l’artiste, influencé par l’anthropologie et la philosophie politique, se concentre depuis 2011 sur l’univers carcéral. Ce dernier ouvrage, conclusion d’un long cycle, a été pensé à partir d’une enquête sur la présence animale dans les prisons, qu’elle soit réelle, dessinée, écrite ou imaginaire. Construit autour d’un corpus iconographique varié, d’écussons brodés aux photographies et dessins de l’artiste, ce livre interroge les notions d’animalité, d’enfermement, et ce qu’elles disent des relations entre les personnes.
 

Arnaud Théval "Histoire animale de la prison" Courtesy Dilecta.
Arnaud Théval "Histoire animale de la prison" Courtesy Dilecta.

 


Sommaire 
NE VOIS-TU PAS L’ANIMAL CACHÉ ?
Arnaud Théval  7

NE LEUR MANQUE, DIT-ON, QUE LA PAROLE.
ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE ANIMALE DE LA PRISON
Alain Kerlan  201

AU NOM DU CHIEN, LE PROCÈS
Djoheur Zerouki  251
 

© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.
© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.

 

© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.
© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.

 

NE VOIS-TU PAS L’ANIMAL CACHÉ ?
Arnaud Théval 

À son bureau, derrière ses lunettes, le directeur me fixe. Il écoute attentivement. Enfin, quand je finis, il parle mais pas de la prison, pas encore. « Oui, l’animal est un membre de la famille à part entière », dit-il en me glissant une carte de condoléances qu’il vient de recevoir de la clinique vétérinaire. L’homme est très affecté par la mort de son chien et touché par le cérémonial proposé jusqu’à l’incinérateur. Le chien est évoqué à ce moment du récit comme l’égal de l’homme, aucune différence n’est faite dans le traitement de son passage vers la mort. L’animal semble encore japper sous les yeux de son maître dont les mains, pour un peu, cherchent à le caresser. Mais non, il n’est plus là et c’est l’équilibre de tout l’univers d’un individu qui s’écroule ; ça turbine dans sa tête. Ses problèmes sont sans fin, aucune langue animale ne vient les rompre. Maintenant, partout, dans sa voiture, chez lui, il cherche sa présence, partout où son odeur persiste malgré son départ. L’animal avait senti sa fin venir, chaque sortie à l’air frais, chaque bouchée était d’une saveur exquise. « On voyait qu’il se préparait à mourir. » Avec lui, il oubliait tout, il lui offrait une échappatoire, un moment pour respirer, c’était grâce à lui que le reste devenait supportable. Il l’accompagnait parfois dans le quartier de semi-liberté, une fête ! Jusqu’au jour où quelqu’un de l’administration a envoyé une lettre anonyme à la direction interrégionale pour faire cesser ça. « La prison est comme un village, soupire-t-il, tout ce que l’on sait, on le déforme ; tout ce que l’on ne sait pas, on l’invente. Et pourtant, chaque bestiole est une occupation en prison. »

© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.
© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.

 

© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.
© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.

 

NE LEUR MANQUE, DIT-ON, QUE LA PAROLE.
ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE ANIMALE DE LA PRISON
Alain Kerlan

L’animal en prison, une Philosophie animale de la prison ? Quelle idée ! L’animal n’est-il pas, dans l’ordre carcéral, celui qui n’y a pas sa place, l’exclu comme par principe de l’enfermement réservé aux êtres humains ? A-t-on jamais vu une détenue, un détenu, s’y présenter et y être incarcérés, leur chien de compagnie au bout d’une laisse, leur chat entre les bras, ou bien sagement installé dans sa petite niche de plastique à la portière grillagée soigneusement close ? Non, bien sûr, pas plus que le chien, mais l’histoire animale de la prison n’en raconte pas moins comment l’animal interdit d’entrée pèse de l’extérieur, par son exclusion même, sur la vie de la prison, comme il pesait sur la vie de cette détenue qui aurait peut-être cédé à la tentation du suicide si l’administration pénitentiaire, relayée par la bienveillance de quelque personnel, n’avait pris et tenu la promesse de prendre soin du chien compagnon abandonné, enfermé lui dans une autre solitude, exclu de « droit de visite » au parloir 6. Bel exemple, qu’un sociologue pourrait considérer, dans son langage savant, comme un par-fait exemple d’agentivité animale !
PRÉSENCES ANIMALES
Il y aurait lieu de s’interroger sur cet allant de soi, sur cette évidence de l’articulation entre la privation de liberté et l’exclusion des animaux familiers de la communauté qu’ils formaient avec les hommes et les femmes avant que l’incarcération ne les en exclue, de se pencher sur les non-dits de cette évidence. On dira, certes, que ce n’est là que considération de bon sens, qu’une affaire de propreté, de salubrité, de santé publique. Oui, bien sûr. Mais une Philosophie animale de la prison pourrait bien jeter quelque doute sur la capacité de cette explication à épuiser la signification de cette exclusion, à fermer toutes les pistes qui s’ouvrent et se creusent dans ce croisement de la liberté et de l’animalité. 

© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.
© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.

 

NE LEUR MANQUE, DIT-ON, QUE LA PAROLE. ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE ANIMALE DE LA PRISON Alain Kerlan   L’animal en prison, une Philosophie animale de la prison ? Quelle idée ! L’animal n’est-il pas, dans l’ordre carcéral, celui qui n’y a pas sa place, l’exclu comme par principe de l’enfermement réservé aux êtres humains ? A-t-on jamais vu une détenue, un détenu, s’y présenter et y être incarcérés, leur chien de compagnie au bout d’une laisse, leur chat entre les bras, ou bien sagement installé dans sa petite niche de plastique à la portière grillagée soigneusement close ? Non, bien sûr, pas plus que le chien, mais l’histoire animale de la prison n’en raconte pas moins comment l’animal interdit d’entrée pèse de l’extérieur, par son exclusion même, sur la vie de la prison, comme il pesait sur la vie de cette détenue qui aurait peut-être cédé à la tentation du suicide si l’administration pénitentiaire, relayée par la bienveillance de quelque personnel, n’avait pris et tenu la promesse de prendre soin du chien compagnon abandonné, enfermé lui dans une autre solitude, exclu de « droit de visite » au parloir 6. Bel exemple, qu’un sociologue pourrait considérer, dans son langage savant, comme un par-fait exemple d’agentivité animale ! PRÉSENCES ANIMALES Il y aurait lieu de s’interroger sur cet allant de soi, sur cette évidence de l’articulation entre la privation de liberté et l’exclusion des animaux familiers de la communauté qu’ils formaient avec les hommes et les femmes avant que l’incarcération ne les en exclue, de se pencher sur les non-dits de cette évidence. On dira, certes, que ce n’est là que considération de bon sens, qu’une affaire de propreté, de salubrité, de santé publique. Oui, bien sûr. Mais une Philosophie animale de la prison pourrait bien jeter quelque doute sur la capacité de cette explication à épuiser la signification de cette exclusion, à fermer toutes les pistes qui s’ouvrent et se creusent dans ce croisement de la liberté et de l’animalité.
© Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.

 

AU NOM DU CHIEN, LE PROCÈS
Djoheur Zerouki 

Le 29 février 2027, la ville est en émoi. Le procès du Directeur du centre de détention qui tient le monde en haleine depuis trois jours arrive à son terme. Aujourd’hui ont lieu les réquisitions et les plaidoiries. Ce procès hors normes mobilise l’attention de la France entière. Toutes les rédactions ont envoyé des équipes. Sur les marches du tribunal les flashs crépitent, la salle des pas perdus est bondée. Rares sont ceux qui sont parvenus à obtenir leur place dans la salle d’audience. Pourtant, le Directeur, dans un souci de discrétion, a tenté d’obtenir le huis clos et son avocat a bien exposé combien la frénésie médiatique qui entourait l’affaire risquait de troubler la sérénité de la décision de justice. L’argument fut balayé d’un revers de manche par l’avocat de la Femme, qui tenait pour sa part à ce que le comportement du Directeur et les souffrances qu’elle avait endurées soient connus de tous. Le caractère public de l’audience, garantie d’un débat
démocratique transparent sur un choix de société fondateur, avait ainsi été maintenu par le tribunal. Mais qu’était-il donc reproché au Directeur? Rien de moins que d’avoir refusé au Chien l’entrée du centre de détention, le privant ainsi de l’exercice de ses droits d’aller et venir, ainsi que de ses droits de parloir, en violation des articles 1 et 2 du Code animal. L’affaire aurait pu en rester là et passer pour une peccadille, mais c’était sans compter l’infinie tristesse du Chien qui s’était couché devant la porte et que l’on avait retrouvé mort au petit matin. Depuis trois jours, témoins et experts se succédaient à la barre, détaillant les méandres de cette affaire. Le Directeur
s’était assez peu exprimé, accablé par la tournure des événements qu’il n’avait à l’évidence pas anticipée. Digne et juste, les yeux mouillés et courbant le dos, la Femme avait exposé sa douleur d’avoir perdu son compagnon de vie, celui qui l’ancrait au monde. Sa déclaration en avait touché plus d’un.

Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta.
Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta.

 

 

Arnaud Théval "histoire animale de la prison"(2025) Courtesy Dilecta.

 

© Arnaud Théval "Histoire animale de la prison" Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.
© Arnaud Théval "Histoire animale de la prison" Courtesy Dilecta. Photo : Nicolas Brasseur.

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Arnaud Théval "Histoire animale de la prison" Courtesy Dilecta.
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