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Arnaud Théval "Petits cailloux,marécages et pied de biche" (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.
Arnaud Théval "Petits cailloux,marécages et pied de biche" (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.

Hors-champs : des fabriques de l’art en prison
Arnaud Théval, Yves Henri, Caroline Caccavale (artistes)
Textes et images des auteurs
112 pages, format 14 x 20,5 cm, dos carré collé
Éditions Naufragés Éphémères, Lyon
2024

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Hors-champs : des fabriques de l’art en prison (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.
Hors-champs : des fabriques de l’art en prison (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.


Entrelacses
Trois artistes, trois expériences de l’art, de la prison... et des deux ensemble
Le livre-miroir de celui-ci, Quand les corbeaux ne volent plus sur le dos : une prison-musée ?, présente trois regards sur le travail d’un artiste, Arnaud Théval, dans une prison, celle de Draguignan, à l’occasion d’une visite, un jour d’avril 2023. Le présent ouvrage, Hors-champ : des fabriques de l’art en prison, paraissant à la même date et à la même enseigne, donne quant à lui à connaître, de l’intérieur, les démarches de trois artistes travaillant ou ayant travaillé en prison : celles de Caroline Caccavale, d’Yves Henri et d’Arnaud Théval. Ces recherches artistiques, conduites depuis 1987 pour l’une, depuis les années 2000 et 2010 pour les autres, ont été l’occasion de concevoir des oeuvres en milieu carcéral avec celles et ceux qui y vivent ou y travaillent. Ces oeuvres y restent et en sortent aussi par le biais de films, photographies ou livres1. Au-delà de ces traces, cet ouvrage souhaite présenter des coulisses, ouvrir des cuisines, montrer des tours de main liés à ces trois démarches. Comment ces trois artistes ont-ils commencé à oeuvrer en prison ? Quel travail s’est opéré sur et avec les limites matérielles et politiques de cette institution ? Qu’ont-ils et elle fait des limites symboliques ? Quels effets ces actions ont-elles eus sur celles et ceux qui y vivent ou y travaillent ? Et pour les personnes qui ne sont jamais entrées en prison, pour l’institution elle-même, des déplacements sont-ils perceptibles ? Et sur l’artiste ou sur son art, quelles sont les répercussions ?
Ces différentes questions ont émergé d’une première version du texte d’Yves Henri, auquel Alain Kerlan, en philosophe maïeuticien, a réagi, lui proposant un échange enregistré. À partir de ces éléments de connaissance, à la manière d’une sociologue participant à Jeopardy2, Gaële Henri-Panabière a rédigé une suite de questions (résumées dans le paragraphe précédent) formant un questionnaire à usage souple. Arnaud Théval s’en est saisi comme d’une trame pour tisser son texte : « Petits cailloux, marécages et pied de biche ». Yves Henri y a pris ce qui l’intéressait pour développer le sien : « Give me liberty or give me death ». Pour Caroline Caccavale, ce questionnaire a servi de support à une interview d’une heure avec Gaële Henri-Panabière, dont le texte « À cet endroit parce que c’est nécessaire », est une transcription reprise à quatre mains. Chacun de ces trois textes contient ses propres issues. Tu les trouveras, toi qui entres là…

Voir le livre Quand les corbeaux ne volent plus sur le dos : un prison-musée

Arnaud Théval 
Petits cailloux, marécages et pied de biche
1 – Pour ne pas se perdre
– Comment as-tu commencé à travailler sur et dans les prisons ?
– Je reviens en prison en 2012, douze années après avoir eu mon « premier choc carcéral ». La maison d’arrêt de Nantes, construite en 1860, va fermer et une intuition me pousse à engager une réflexion sur ce lieu d’intériorité apparemment étranger. Disons que je sens que, dans cette prison, j’ai laissé quelque chose en résonance avec mes travaux du dehors. Immense paradoxe, mais il s’agit sans doute d’un basculement vers une prise de conscience que la prison est un dedans structurant de notre Cité. D’ailleurs, c’est ma première pensée en y entrant en 2000 pour y faire un atelier de pratique artistique avec des personnes détenues. Aujourd’hui, je pense y avoir laissé quelque chose de l’ordre de la stupéfaction, de celle qui nourrit ma conscience politique pour me situer artistiquement là où la souffrance côtoie une humanité joyeuse dans un frottement inouï m’ouvrant au poétique avec une brutalité « simple ». Peut-être que je revenais pour déceler, dans les décombres fumants de la fermeture, les traces du vivant, de celles qui résistent encore un peu à la mort, avec la disparition même du lieu. J’y ai trouvé des fragments d’humanité et d’animalité. Mon intention en 2012 est de créer une connexion entre mes recherches critiques des enfermements des acteurs du monde du travail, des élèves en lycée professionnel et ceux de l’univers carcéral – le travail comme objet de recherche pour entrer en prison. Un lien frontal sur les enjeux de l’enfermement et des assignations à des clichés qui se propagent dans ces espaces sociaux qui sont mis en récit par la caricature ou les événements (accidents ou drames). En somme, comment déconstruire les systèmes de construction du spectaculaire et tenter d’aller chercher d’autres récits, s’ils existent ?

Yves Henri 
Give me liberty or give me death
Mes parents ont risqué leur vie et la future mienne pour permettre à des juifs en errance de franchir la zone de démarcation. Enfant, cela m’a certainement influencé. Artiste à part entière, sans être passé par la case Beaux-Arts, j’ai appris à avoir une relative prudence envers les informations, les propagandes ou les dénis historiques. J’ai engagé une bonne partie de mon énergie créatrice à rencontrer l’autre, les autres, notamment dans des espaces où, le plus souvent, l’individu pouvait apparaître comme « terroriste », « voyou », « scélérat » ou inadapté aux normalités de notre société. Ainsi, pour mieux comprendre le conflit israélo-palestinien, en 2003, je me suis retrouvé dans le camp de Jénine en Palestine.
« Ça fait plus de cinq ans que je n’ai pu faire plus de cinq kilomètres dans un sens ou dans l’autre » : c’étaient les confidences de Domar un soir où les tanks de l’armée israélienne nous contraignaient à rester bloqués dans une des trois cents maisons détruites lors d’un raid de la soldatesque israélienne. Résultat : quatre-vingt-dix habitants du camp de Jénine passés de vie à trépas ! J’étais sur place dans ce camp pour réaliser un « guetteur » avec des habitants qui, pour certains, furent chassés de leur terre en 1948.

Caroline Caccavale 
À cet endroit, parce que c’est nécessaire
1 – Franchir le seuil
Je suis entrée dans la prison des Baumettes en tant qu’étudiante à l’école des Beaux-Arts de Marseille, intéressée par la question du dispositif carcéral. Plus particulièrement par la répétition des images et des sons à l’intérieur de ce dispositif. J’étais avec un autre étudiant, Joseph Cesarini, qui voulait faire un film sur le tatouage en prison. C’est avec lui que je fonderai quelques années plus tard l’association Lieux fictifs. Naïvement, nous avons tapé à la porte de la prison pour demander une autorisation d’accès afin de pouvoir circuler, observer, filmer. Le directeur de l’époque nous a demandé, en échange de ce travail personnel, de mettre en place un atelier vidéo avec les personnes détenues, puisque nous avions déjà une pratique de l’image et du son. C’est comme cela qu’est né en 1987 TVB, le premier atelier vidéo aux Baumettes. À cette période, l’administration pénitentiaire installait des téléviseurs en cellule, la télévision jusque-là n’existait pas en prison. C’était l’arrivée de ce qu’on appelait à l’époque « la fenêtre sur le monde ». Il y avait également la possibilité de créer une connexion, un câblage qui permettait à chaque cellule de recevoir un canal vidéo interne à l’établissement. La prison m’intéressait, parce qu’il me semblait qu’à travers elle, je pourrais mieux comprendre le fonctionnement de la société. C’était une sorte d’intuition nourrie des écrits de Michel Foucault. Je voulais comprendre le dispositif de la prison, pour comprendre ce qui se jouait à l’extérieur.

Arnaud Théval "Petits cailloux,marécages et pied de biche" (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.
Arnaud Théval "Petits cailloux,marécages et pied de biche" (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.
Arnaud Théval "Petits cailloux,marécages et pied de biche" (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.
Arnaud Théval "Petits cailloux,marécages et pied de biche" (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.
Arnaud Théval "Petits cailloux,marécages et pied de biche" (2024) éditions Naufragés Éphémères, Lyon.