De la prison à l’hôpital, fragments d’expériences
Texte et photographies de l’auteur
Revue Artes, La chambre et les arts, l’intime au défi
numéro 17 coordonnée par Marie Escorne et Myriam Métayer
Presses universitaires de Bordeaux
2022
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Extraits :
De la prison à l’hôpital, fragments d’expériences
La chambre est le dernier des refuges comme la première des prisons. Elle nous protège la nuit des intrusions extérieures ou se transforme en piège quand l’intrus est à l’intérieur de la famille. Lieu des confinements maladifs ou liés aux injonctions d’un État lors d’une crise sanitaire, elle est aussi celui de nos ébats amoureux, de nos abondons aux rêves. Elle abrite nos corps en crises ou mourants. Dans le vocabulaire moderne des architectes le mot « cellule1 » s’est glissé dans la langue pour désigner une standardisation des espaces de l’habitat, renvoyant immanquablement à cet autre lieu d’enfermement pour les corps sous main de justice qu’est la prison.
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Les chambres sans portes, récits (extraits)
À l’hôpital, une chambre ouverte
Son cœur s’est pincé en ressentant l’intrusion, puis il a repris son battement régulier. La sensation de chaleur se répand peu à peu dans tout son être, elle se sent bien. Sa main s’est relâchée dans celle de son compagnon, il la regarde partir dans cet évanouisse-ment programmé. Voilà des années qu’ils font chambre commune, il perçoit le moindre des frissons de son corps et la nuit il se berce du souffle de sa bouche. Cependant, aujourd’hui, il est contraint de rester au seuil. Sa chambre à elle est une immensité de douceur, dans cet infini-là elle se sent bercée par son propre silence intérieur. Elle y est bien, c’est tout. La porte de sa chambre vibre un peu, l’infirmière vient d’en extraire l’aiguille. Dans son état de semi-conscience, il lui semble que son corps lui a échappé, qu’il est le corps même d’un hôpital. D’une respiration à une autre, les effluves des produits de soins se mélangent aux odeurs de sa peau.
En prison, une chambre trouée
Nu sur son lit, il reste immobile. Il est aux aguets, son oreille entend le moindre bruit que l’édifice en béton propage. Par la fenêtre, les bruits de la ville ne sont que des murmures lointains. Les gémissements répétés provenant de la cellule voisine traversent la cloison et agitent son imaginaire. Finalement, il a lui aussi allumé son téléviseur pour voir un film pornographique. Malgré son calme apparent, il a le sexe en érection. C’est peu perceptible mais il entend un léger crissement de pas provenant du couloir de derrière sa porte. Son cœur bat la chamade, il attend encore un peu et commence à se masturber frénétiquement. D’un coup la lumière s’allume, un bruit métallique accompagne un soufflement et un œil l’observe quelques instants. De l’autre côté de l’œilleton la surveillante ne dit rien, elle poursuit sa tournée nocturne.
Antichambres
Cette chambre d’hôpital et cette cellule de prison sont retour-nées comme des gants. Le privé est public, ce sont nos institutions qui accueillent, protègent, punissent et guérissent. Dans les deux cas, l’intériorité est un refuge qui devient en soi l’espace de la chambre. Dans les deux cas, la chambre a reculé de son espace circonscrit et identifié. Les signes faibles qui subsistent sont des leurres, trompant vaguement le passager à la lisière de ces histoires éloignées de sa vie, de la mienne. C’est l’inverse pour ceux qui connaissent le sens et la valeur des objets qui émergent à la surface de ces fausses chambres, ils sont l’univers de la personne. Antres inaccessibles et livrés à tout vent, ces chambres sont des illusions auxquelles ces corps privés de leurs vraies chambres tentent d’accrocher quelque chose. Mais tout glisse, ces chambres hospitalières et carcérales sont lubrifiées par l’idée qu’il ne faut pas trop, voire pas du tout se les approprier. Finalement, ce ne sont pas des chambres, mais des « antichambres ». Il nous reste à savoir si d’autres chambres sont possibles dans nos institutions hospi-talières et carcérales. Ou si l’ambulatoire pour l’hôpital et le bracelet électronique pour la prison auront raison, à terme, de ces chambres intermédiaires ?