Invisibles

Arnaud Théval Invisibles (2010), Zédélé éditions. © Christophe Pit.
Arnaud Théval Invisibles (2010), Zédélé éditions. © Christophe Pit.

Invisibles
256 pages, format 14,5 x 19 cm
broché, couverture avec rabats
texte de Christian Ruby, philosophe.
Zédélé éditions, Brest
2010

Épuisé

Invisibles (2010) Zédélé éditions. © Christophe Pit.
Arnaud Théval Invisibles (2010), Zédélé éditions. © Christophe Pit.

Invisibles  s’est développé dans les quartiers nord de Nantes après une année de rencontres et d'échanges avec les « habitants », photographiés dans leurs activités quotidiennes. Une collection de portraits s'est ainsi constituée, se diffusant dans les réseaux informels des différents groupes, et donnant un début de visibilité aux premières images du projet. Les échanges se sont déroulés sous forme de discussions, où il a été question de la vie du quartier, de ce qui s'y passe, de ceux qui la font, et de ceux qui en sont ! La première réalisation d'Invisibles est un ensemble d'avatars, sortes de représentations virtuelles des personnes engagées dans le projet. Les avatars se sont construits à partir d’une situation de portrait associant chacun dans le choix d’une pose et d’un geste.

Invisibles (2010) Zédélé éditions. © Christophe Pit.
Arnaud Théval Invisibles (2010), Zédélé éditions. © Christophe Pit.

La transformation des visages, masqués par une image composée à partir de signes photographiés sur la personne, a été l'occasion d’inventer des figures évoquant nos mythologies contemporaines empruntées au cinéma, au manga, aux arts plastiques, et autres fictions urbaines cités par les uns et les autres. Celles et ceux qui jalonnent ce livre, absents de la représentation de la banlieue ou stigmatisés par l'imagerie médiatique, apparaissent ici dans une authenticité non simulée. Toutes ces images, rompant ou jouant avec les stéréotypes les plus éculés, font référence de façon critique à ces accumulations de clichés et de codes, qui génèrent à leur tour des attitudes et des modes, ayant pour conséquence de rendre invisibles ceux-là mêmes qui les adoptent.

Invisibles (2010), Zédélé éditions. © Christophe Pit.
Arnaud Théval Invisibles (2010), Zédélé éditions. © Christophe Pit.

Extrait de "L'invention de soi en photographie", par Christian Ruby, philosophe.
Tout l’enjeu du travail d’Arnaud Théval tient dans la volonté de défaire cette servitude, tout en la défaisant habilement , afin de repenser à la fois l’individuation et le commun. Au cours d’un long travail avec les modèles, l’artiste subvertit la construction précédente pour mieux s’investir dans le champ de l’individuation. Autrement dit, il refuse de prendre le risque de localiser à nouveau les corps photographiés dans le partage (commun, consenti) policier des corps, et il se préoccupe de la production de formes d’individuation qui ouvriront par la suite à son travail sur un nouveau commun, sur l’espace public et la subjectivation politique (Volume 2). Et ceci par trois fois. Par la pratique du photomontage. Aucune photographie ne joue le jeu de la représentation, si même ce jeu est possible. La composition du personnage photographié équivaut plutôt à un montage qui brouille l’immédiate identité, désoriente la représentation, et déplace les signes de l’identification, tout en maintenant leur prégnance sociale. Et cela est su d’avance du modèle. Il ne s’agit donc pas vraiment, pour lui, de se donner à voir, de se la jouer pour paraître aux yeux des autres. La pose qu’il adopte d’emblée ne survit jamais. C’est le retravail du montage qui donne sa règle au résultat, décale et refait l’image qu’il voudrait sans doute délivrer. Par la pratique des médiations.

Invisibles (2010), Zédélé éditions. © Christophe Pit.
Arnaud Théval Invisibles (2010), Zédélé éditions. © Christophe Pit.

Quoiqu’il en soit, aucune photographie ne peut prétendre à l’adéquation pure. Mais de surcroît, l’objectif fixé par Arnaud Théval ne consiste pas à faire croire en une coïncidence. Qui pourrait d’ailleurs habiter ainsi son personnage, sinon jusqu’à la caricature ! C’est plus exactement l’œil du photographe qui dépouille d’abord le modèle des assignations adoptées et des modes commerciales, et dans le même temps lui offre les moyens de se spécifier comme personne et en tant que personne, sans se dépouiller du commerce et du social. Il parvient ainsi à mettre en évidence une logique singulière, qui est celle des gestes et des attitudes, et des signes déplacés. Et à montrer comment celui qui parle, ou joue, ou se montre, ou agit, devient à la fois élément et acteur de soi. Par la pratique de l’individuation. Autant la question posée par l’artiste n’est ni celle de la connaissance de soi par la réflexion, ni expressément celle du rapport du sujet à la vérité, autant elle demeure bien celle de la mise en jeu du commun, de la confrontation à l’autre, celle des exercices de subjectivation qui se nouent au cours de procédures d’échange et de reconnaissance. L’artiste n’est pas à la recherche d’un sujet originaire, pré-donné, glissant en-dessous du paraître et du commun. Il part des processus dans lesquels les personnes se construisent et les incite à se travailler à partir d’une interférence entre artiste et modèle. En un mot, ces trois déplacements/subversions font droit à une autre perspective : se constituer et se transformer à partir d'une pratique artistique, dans un rapport déterminé à elle.

Invisibles (2010), Nantes.
Arnaud Théval Invisibles (2010), remise du livre aux protagonistes, La Mano, Nantes. © Isabelle Montané.